Il arrive un moment où ton équipe ne livre plus comme avant.
Pas de drame, pas de crise ouverte… juste cette impression que tout se grippe : les sprints s’allongent, les tickets traînent, les arbitrages s’enlisent.
Tu sens qu’il y a une fatigue invisible. Ce n’est pas un problème de compétence, ni même de motivation.
C’est quelque chose de plus profond, plus cognitif : un syndrome dysexécutif collectif… très certainement !
Et si, en tant que CTO, notre rôle n’était plus seulement de piloter la tech, mais aussi de coacher les fonctions exécutives de notre équipe ?
Le lien entre le cerveau et l’organisation
Le terme syndrome dysexécutif vient de la neuropsychologie.
(Du coup… je me suis un peu renseigné sur le sujet : ok, on sait faire des réseaux neuronaux avec l’IA, mais chez l’humain, il faut bien reconnaître qu’on est souvent largués, nous les CTO.)
Il désigne un dysfonctionnement des fonctions exécutives : ces processus mentaux qui nous permettent de planifier, prioriser, initier et exécuter des actions cohérentes.
Une étude menée par le département de neurologie de l’Université Drexel a montré que, chez des patients atteints de douleurs chroniques, plus de 60 % présentaient des troubles de ce type : attention dispersée, planification déficiente, rigidité mentale, difficulté à terminer ce qu’ils avaient commencé.
Le parallèle avec la tech n’est pas médical, bien sûr… mais il est cognitivement juste.
Les mêmes zones cérébrales (préfrontales) qui orchestrent la planification, la flexibilité ou la mémoire de travail sont celles qui s’épuisent dans des environnements à forte pression, à surcharge décisionnelle et à interruptions constantes.
(Peur de mal faire ? Recherche de perfection ?)
Autrement dit : une équipe tech sous stress chronique finit par ressembler à un cerveau fatigué.
Quand le collectif devient “dysexécutif”
Dans une équipe de développement, les symptômes se traduisent autrement :
les tâches sont commencées mais jamais terminées, les sprints débordent, la dette technique explose, la communication se crispe.
Tout le monde sait ce qu’il faut faire, mais plus personne ne parvient à s’y tenir.
Ce n’est pas un manque d’effort ; c’est un épuisement exécutif collectif.
La productivité chute non pas parce que les gens ne veulent pas avancer, mais parce qu’ils n’ont plus les ressources cognitives pour ordonner leurs actions.
C’est exactement ce que décrivent les neurosciences : quand le cortex préfrontal est saturé, il perd en inhibition, en flexibilité et en priorisation.
En entreprise, cela se traduit par des réunions inutiles, du multitâche permanent, et une incapacité à dire non.
Le CTO comme coach des fonctions exécutives
C’est ici que notre rôle de CTO évolue.
Nous ne sommes plus seulement des architectes techniques, garants de la vision produit ou de la stack,
mais aussi les coachs des fonctions exécutives de nos équipes.
Nous aidons le collectif à mieux planifier, à inhiber les distractions, à rester flexible sans se disperser, et à célébrer ce qui est accompli.
Les fonctions exécutives ne sont pas que cérébrales : elles sont aussi organisationnelles.
Elles s’incarnent dans les rituels, les outils et les décisions du quotidien.
Ce que j’ai souvent observé chez certaines personnes qui avaient du mal à s’organiser, c’est cette tendance à vouloir atteindre l’étape finale avant même d’avoir commencé.
Comme se lancer directement dans le code sans passer par la gestion de projet.
Inhibition : réapprendre à dire non
Inhiber, c’est savoir mettre un frein. Dans le cerveau, c’est la capacité à résister à une impulsion.
Dans une équipe, c’est la capacité à bloquer les interruptions pour protéger le focus.
Concrètement, cela peut vouloir dire instaurer un “No Meeting Day” hebdomadaire :
une journée sans réunions où chacun peut coder, réfléchir, écrire, sans être happé par le Slack ou le stand-up impromptu.
Et si l’équipe le permet, apprendre à être moins sur leur dos, à faire confiance.
C’est une manière d’inhiber le réflexe collectif de l’urgence — et de redonner de la profondeur à l’exécution.
Flexibilité : s’adapter sans se perdre
La flexibilité, c’est la capacité à s’ajuster aux imprévus sans se désorganiser.
Pour une équipe, cela passe souvent par un cadre clair mais modulable.
Limiter le travail en cours (WIP) aide à rester concentré, mais garder un petit “pool” de tâches rapides ou de maintenance permet d’absorber les aléas sans désorienter tout le sprint.
Ce n’est pas de l’improvisation, c’est une flexibilité contrôlée : l’équipe s’autorise à bouger, mais sans se fragmenter.
La micro-célébration : la dopamine du collectif
Un autre levier puissant pour restaurer les fonctions exécutives, c’est la clôture.
Le cerveau a besoin de boucler les boucles pour libérer de la dopamine et ressentir la progression.
Une équipe qui ne termine jamais rien finit en frustration chronique.
C’est pourquoi j’encourage mes équipes à terminer leur journée sur un succès.
Même si demain s’annonce compliqué, au moins on finit la journée avec le sentiment du travail bien fait — et demain sera un autre jour.
Si une feature est livrée à 16 h 30, inutile de relancer une nouvelle tâche lourde.
Qu’ils documentent, aident un collègue, se forment ou brainstorment : l’important, c’est de finir sur une note positive.
Cette micro-célébration redonne au travail son rythme naturel : effort, accomplissement, satisfaction, relâchement.
C’est la meilleure antidote au syndrome dysexécutif.
Restaurer la santé exécutive de l’équipe
Manager les fonctions exécutives de ton équipe, c’est gérer son énergie cognitive.
Ce n’est pas “faire produire plus”, mais “faire penser mieux”.
Planification, inhibition, flexibilité, initiation, séquencement : ce sont les cinq leviers invisibles de la performance collective.
Et ce sont ceux que tu peux, en tant que CTO, entraîner chaque jour — non pas par des outils, mais par des rituels et de la confiance.
Une équipe en bonne santé exécutive n’est pas celle qui livre le plus vite,
mais celle qui sait où elle va, ce qu’elle fait,
et surtout, quand s’arrêter.